Votre papa était atteint de la maladie d’Alzheimer, maladie neurodégénérative, dont on ne peut pas guérir. Il en est décédé le 26 mai 2012. Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Le but premier est qu’au travers de ce livre, les familles et les aidants confrontés à ce grave problème réussissent à mieux appréhender cette pathologie. C’est pourquoi j’ai souhaité apporter mon témoignage en toute simplicité et avec pudeur. Parler de certaines situations auxquelles on peut être confrontés et entre autres, la mise sous curatelle et le port d’un bracelet électronique.
La maladie de votre papa s’est manifestée en 1999. Quels ont été les premiers signes ?
Tout d’abord, il y a eu quelques pertes de mémoire qu’il a signalées de lui-même à son médecin en particulier, le fait de ne plus savoir se diriger. Il est assez rare que ce soit le patient lui-même qui aborde son problème avec son docteur. Dans un premier temps, il a eu un traitement médicamenteux et des séances d’orthophonie. Pour lui, le plus difficile a été lorsque nous avons dû lui interdire la conduite de son véhicule. C’était d’autant plus douloureux pour lui qu’il avait été chauffeur de poids lourds.
Vous écrivez dans le livre que l’évolution de la maladie d’Alzheimer se fait lentement et par étape.
C’est exact. Dans un premier temps, vous commencez à ne plus vous souvenir de la vie courante, puis vous perdez votre autonomie, vos repères dans le temps et l’espace, et après, l’usage de la parole. L’évolution et la durée de la maladie d’Alzheimer sont variables d’une personne à l’autre. En règle générale, les troubles cognitifs (intellectuels) vont s’aggraver progressivement, des troubles du comportement vont apparaître et la personne va devenir dépendante. L’état grabataire (le malade ne peut plus quitter son lit) est inévitable à long terme, ainsi que le décès. En moyenne, ce décès survient huit à douze ans après le début des symptômes. Cependant, l’espérance de vie des individus atteints par cette pathologie est influencée par l’âge d’apparition des premiers signes.
Concernant papa, l’évolution a été lente, jusqu’en 2004. Cela correspond au début de la maladie de maman. Au décès de son épouse en mars 2006, tout s’est accéléré. Les chocs émotionnels sont des déclencheurs. À partir de là, la maladie de papa a progressé de façon significative et le maintien à son domicile s’est avéré impossible. Dans l’urgence, nous avons dû trouver une maison de retraite acceptant de l’accueillir. Celle où il est entré n’était pas une unité Alzheimer, mais un simple Ehpad. Il y a eu des moments très délicats après qu’il ait été admis en institution. Il a fugué plusieurs fois et l’une a bien failli lui être fatale. Il a mal vécu la mise sous curatelle, car il avait l’impression d’être dépossédé, voire même spolié, alors que nous voulions le protéger. Lorsque nous venions le voir le dimanche et que nous allions nous promener à l’extérieur, chaque retour à la maison de retraite était un déchirement pour lui et par ricochet pour nous. Il savait nous faire culpabiliser. Et puis le décès de son frère en juillet 2011, qui résidait dans la même maison de retraite, a été terrible pour lui et a marqué une étape supplémentaire et importante dans l’évolution de sa maladie. Les chocs émotionnels provoquent souvent une progression plus rapide, à ce moment-là.
Cependant, à part les dernières semaines, papa m’a toujours reconnue et nous pouvions avoir des conversations, certes limitées, mais nous arrivions à nous comprendre. À partir de ce moment-là, l’agressivité a été très présente. Notre complicité est restée presque intacte jusqu’à la fin.
Vous avez assumé le rôle d’aidant pendant la durée de sa maladie. Avez-vous bénéficié de soutiens ?
J’ai eu un peu de soutien de la part de ma famille. Le personnel de la maison de retraite, et surtout les infirmières, m’ont beaucoup épaulée dans cette épreuve. Déborah, la psychologue du réseau Aloïse (réseau de prise en charge des malades atteints de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés) m’a accompagnée et ses conseils m’ont été nécessaires pour comprendre les différentes étapes de cette maladie et mieux les appréhender. Elle a été un appui moral et une conseillère attentive. Une béquille en quelque sorte. Elle m’a appris à ne pas me faire d’illusions sur cette maladie, en m’expliquant que les moments d’amélioration de santé n’étaient que temporaires. Les aidants doivent absolument être soutenus, sans quoi ils peuvent à leur tour y laisser leur santé. Le pire pour eux est le ressenti de culpabilité. Voir son proche perdre en autonomie est une épreuve difficile. De nombreux aidants ressentent de la colère due à l’impuissance de faire face au handicap. Et avec cette colère vient souvent la culpabilité de ne pas pouvoir agir, malgré les efforts consentis.
Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre la plume pour raconter votre histoire ?
Avant d’écrire, j’ai attendu un peu de temps après le décès de mon papa, car c’était trop éprouvant pour moi. J’ai commencé la rédaction en 2015 et cela s’est avéré être une bonne thérapie. Bien sûr, j’ai pleuré en rédigeant cet ouvrage, mais cela a été bénéfique. Ce sont mes filles qui m’ont incitée à le faire éditer. Une amie m’a même dit : « un bel hommage, par lequel tu fais revivre ton papa ». Il est vrai que lorsque je suis en séance de dédicaces, mon père est très présent et maintenant, j’arrive à pouvoir parler de son parcours « Alzheimer » plus facilement.
Et votre témoignage ne s’arrête pas là…
Effectivement, puisque je le présente dans des salons du livre, les médiathèques et dans les librairies et j’ai accordé plusieurs interviews sur des radios. Je suis intervenue dans plusieurs écoles d’infirmières pour expliquer le rôle d’un aidant dans la prise en charge du malade. Je participe à des cafés-mémoire, de France Alzheimer Oise, notamment à Senlis. Transmettre mon expérience d’aidante par le biais de mon témoignage, c’est pour moi quelque chose d’important.
Je vais terminer cet entretien avec une note d’humour, puisque mon père était quelqu’un de pince-sans-rire. Il aurait certainement dit : « Je suis heureux d’avoir bavardé avec vous et j’espère ne jamais vous dire : il me semble que l’on se connaît, mais vous savez, j’ai la mémoire qui flanche... »